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Adios, recuerdos
22 mars 2012

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 J'en ai encore aujourd'hui froid dans le dos car je sentais peser sur ma tête l'épée de Damoclès ou les serpents qui sifflent. C'était tout le malheur du monde que ma mère semblait me souhaiter et je me souviens avoir passé des nuits blanches à réfléchir en vain sur le pourquoi d'une telle menace à mon égard. Étais-je donc une enfant si différente des deux autres ? Sans doute ai-je été de plus en plus rebelle sentant que quelque chose n'allait pas.

Par manque d'amour véritable, mon caractère se forgeât, s'endurcit; lorsque ma sœur revenait de l'école en pleurant parce qu'on lui avait dit: sale espagnole, retourne dans ton pays, tu viens manger notre pain, moi, sous les mêmes injures, je revenais échevelée mais victorieuse et ravie d'avoir rossé celle qui avait eu l'audace de m'affronter. Naturellement, je me faisais disputer par ma mère qui ne voulait pas avoir d'ennuis, qui voulait que nous nous intégrions très vite et bien dans le pays. Cela ne changea en rien ma détermination; je ne me laisserai jamais insulter et puis j'étais née en France moi! Mais il y a soixante dix ans, les enfants respectaient leurs parents et se taisaient sauf qu'un jour, quelle idée me traversa l'esprit, si ce n'est le fait de leur faire comprendre quelque chose, je lançai théâtralement à table: Vous m'avez trouvé dans une poubelle? Un ange ou un grand froid passa pendant quelques secondes puis tout le monde se moqua de moi et ce fut tout. Plus tard, j'insistais avec lourdeur sur ma ressemblance avec mon père tant par le physique que par le moral. Il chantait souvent du flamenco et je l'écoutais religieusement car il avait chanté en Espagne. Mon enfance a été bercée par Juanito Valderrama, la paquera de Jerez, Raphael Farina, la niña los peines ( allez sur you tube pour les écouter) tant et tant d'autres que j'aime encore aujourd'hui et même plus. Ce cante jondo, je le chantais moi aussi, sans doute très mal mais avec une telle passion que j'ai souvent vu les yeux de mon père s'embuer. Dieu que j'étais fière de lui avoir procuré ce petit plaisir. Une des deux ou trois fois que nous sommes allés en famille à Saint-Étienne, au spectacle, ce fut pour voir Carmen Amaya la plus grande danseuse de flamenco de l'époque et je voulais partir avec elle. J'avais douze ans et j'étais toujours prête à faire la fête comme les gitans. C'est ainsi que ma mère traitait mon père avec une superbe que je n'aimais pas; elle n'avait que deux frères contre treize chez mon père mais six garçons moururent de la grippe espagnole. Lorsqu'elle épousa mon père, elle se dévoua totalement à lui et à ses enfants nous faisant remarquer avec amertume qu'elle était notre bonne. Peut-être avons nous fini par l'admettre puisque c'était la conception qu'elle avait de son rôle de mère. Combien de fois avons-nous entendu: cria cuervos que te sacaran los ojos!* Elle ne savait pas tout le mal qu'elle insinuait en nous et dans notre vie future.

 

*élève des corbeaux, ils t'arracheront les yeux!

 

 

 

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